Interview de Bernard Monneret

1/ Pouvez-vous nous raconter comment est née cette passion ?

J’ai eu curieusement, lorsque j’étais un enfant. d’une douzaine d’années, durant un bombardement en 1943, un flash curieux, me représentant « Professeur d’Arts Martiaux » ; Alors qu’en fait j’ignorais tout de cette discipline, (alors très peu connue en France) !

Je me contentais juste alors, de n’être qu’un gymnaste le plus performant possible…

J’ai totalement oublié ce rêve, mais cette envie m’est revenue lorsque j’ai vu le film « Du sang dans le soleil » avec James Cagney… Scénario relatant la vie d’un journaliste au Japon… Celui-ci étant expert en Arts Martiaux, s’évertuait à se défaire de tous ses méchants ennemis !… Nous avons un jour, plaisanté avec un septième Dan de Judo (Georges BAUDOT), ayant découvert que lui aussi, avait été orienté dans la même direction, par ce même film d’aventures ! …

A 16 ans j’ai néanmoins hésité entre étudier les Arts.Martiaux ou me perfectionner dans la pratique de la danse qui m’attirait également ! Mon choix a été orienté surtout pour l’incidence »Psychique » qu’elle semblait sous-entendre pour l’équilibre de ses pratiquants …

2/ Quelles disciplines avez-vous pratiquées ?

J’ai donc débuté par le Judo en restant surpris de ne pas y découvrir le travail à mains nues que j’imaginais…Au fil des années d’étude et de compétitions, j’y ai acquis le grade de troisième dan ; Ce niveau ne pouvait être dépassé à cette époque des années « 57« …

Le KARATE cherchait à s’implanter en France par le biais d’Henri PLEE.

A l’occasion d’une sélection Judo, où nous devions représenter à Paris, le Sud-est, (pour le 20 me anniversaire du JUDO) : Simon Moschetto, autre lyonnais (hélas disparu assez jeune) et moi-même, sommes allés nous documenter sur cette discipline, au club d’Henri Plée, (montagne Sainte Geneviève à Paris); celui-ci et A.Picard découvraient également par le biais d’une visionneuse (!), les petits secrets, apparents, de cette discipline. Intéressés par cette curieuse approche du BUDO ? Nous sommes donc allés participer à ce premier stage de Karate à Biaritz, ce même été, chez un professeur d’éducation physique. Stage auquel nous n’étions que sept participants pour toute la France !

Henri PLEE se faisait assister dans son travail de pionnier par A. PICARD (ex boxeur français)… Leur Ipon Kumite ou Sambon –Kumite d’époque, s’apparentaient plus à un assaut de boxe française… Dont ils avaient conservés quelques exercices de base ! (Les coups de pieds bas) Mais les lectures des récits de Samouraïs ou assimilés faites par Henri PLEE, entre les heures d’entraînement, nous enthousiasmèrent…

Simon et moi voulions vraiment découvrir ce que nous pressentions de ces BUDO mystérieux …Et sommes donc revenus chacune de ces années qui suivirent tenter de comprendre l’évolution… Hiroo Mochizuki, jeune pratiquant de 17 ans, nous apprit en premier lieu, tout sur les Katas de Heihan , (la première année)…Puis tout sur ceux de Pin han (l’année suivante) !… (Son père ayant changé d’école entre temps) !… Et puis ce fût le redoutable OSHIMA, impressionnant de détermination !… Bernard Macquin, et HARADA Sensaï (avec ses exercices de « Feeling » interminables), sans parler de BASSIS que nous suivîmes à Avignon, plusieurs années de suite, pour assimiler les fondements de cette discipline, exigeant beaucoup d’efforts physiques !…Avec plusieurs autres Lyonnais également convaincus des possibilités de SHOTOKAÏ.

Mais curieusement nous n’avons pas été découvrir Maître MURAKAMI, qui pourtant s’implantait en France durant cette même période !… Ce que nous ferons bien plus tard aux alentours des années 1970

2 bis/Ces disciplines sont-elles complémentaires ?

Entre le Judo et le Karate, le parallèle est difficile. Tous deux se pratiquent bien en Kimono, mais tous deux s’opposent par le « MAAÏ » (notion de distance et de « Tîming » de conclusion.)

– Le Judoka a besoin d’établir impérativement, un contact au préalable de toute action, lui permettant de saisir, puis de projeter son adversaire, (selon son choix ou la bonne opportunité) en utilisant ses jambes ou ses hanches, voir en lui portant quelques clefs de bras ou étranglements….

– Alors que le karate-Ka peut facilement tenir son adversaire à distance, par des techniques de poings ou de pieds !

Quant aux autres disciplines, comme l’Aïki-do, dont le contact est facultatif ou seulement ponctuel, elles pourraient effectivement permettre des échanges avec les Karatekas, mais chacune a ses propres spécificités ou conceptions philosophiques dépendantes de l’éthique liée à la pratique et n’ont pas pour objectif ultime de rivaliser entre elles… De même que les individus n’ont pas forcément l’égocentrisme (tout au moins : en principe) de vouloir imposer à leurs congénères, leurs propres point de vue !…

Au sujet de l’AÏKI-DO, j’en avais eu une première impression décevante, suite au stage que nous avions suivi à Cannes en 1955, avec Tadashi ABBE. Cet expert avait axé son stage de 15 jours, uniquement sur des « Kokyus » (qui sont des exercices sans apparentes constructions techniques, mais s’adaptant parfaitement aux déplacements, aux déséquilibres de l’autre)… Le résultat, (que nous n’avions pas perçu à cette époque), nous avait semblé très aléatoire

Ce n’est que 5 années plus tard, que j’ai rencontré incidemment, dans le club d’un ami judoka, à Saint-Raphaël, alors que je m’entraînais avec des judokas étrangers, un jeune expert japonais 6ème Dan d’ AÏKIDO, Maître Masamichi NORO, qui avait un cours après nos ébats. Alors que nous remettions le tapis en l’état pour leur stage, nous échangèrent avec l’organisateur de ce dernier : Mr J.NAESSENS, grand professeur à Bruxelles et ce jeune expert, quelques généralités sur nos disciplines réciproques. J’avoue avoir été ‘ »scotché » par les explications fournies sur cette nouvelle discipline, que je n’avais absolument pas su comprendre… J’ai donc essayé de pratiquer quelques jours, avec eux… et n’ai plus cessé depuis.

Les autres disciplines comme le KENDO ou le IAÏDO, ne m’ont intéressées, essentiellement que pour être solidaire de la section implantée au Club… La première satisfaisait pourtant ce trait de mon caractère, ayant une certaine tendance à la confrontation… Le Kendo permettant de libérer cette pulsion en l’exprimant par ailleurs, par des « Kiaïs » retentissants, destinés à impressionner son adversaire ! Le IAÏDO, différemment rejoignait la démarche relativement introvertie du Karate… Et comme dans celle-ci, elle s’exprime essentiellement par des exercices techniques, dans lesquels le véritable adversaire est soi-même. Cette discipline reste une introspection sur soi-même au travers de gestes martiaux, comme on en retrouve dans la pratique du KARATE

Je n’ai pas été attiré personnellement par d’autres disciplines, d’origine chinoises, car leurs expressions apparentes, ne semblent pas se soucier du « Kime », privilégiant (apparemment) la vitesse de frappe.

Personnellement en progressant dans l’étude de l’Aïkido, j’avais constaté que la pratique des techniques de Karaté SHOTOKAN, était en totale opposition avec celle utilisée en AÏKIDO… Alors qu’en SHOTOKAÏ, une certaine corrélation semblait se mettre en place !…

3/ Que vous ont apportés les arts martiaux à titre personnel ?

Un équilibre de vie et une meilleure compréhension des autres pratiquants… Un « Timing » qui me semble plus réel, plus juste, en meilleure adéquation avec l’instant présent et les personnes présentes. Ils m’ont appris à essayer de toujours donner le meilleur de moi-même, y compris dans des tâches professionnelles… Ils ont nettement modifiés mes rapports humains avec les autres.

4/ Quels sont vos souvenirs les plus marquants

Evidemment, ceux liés à mon enseignement… Quoique j’ai eu lors d’un stage avec Maître MURAKAMI à Chalon (je crois), un jeune Japonais qui cherchait à me faire attaquer, sans aucun répit. Exercice que nous appelions alors « MIDARE » ou « TIMING » ou encore »IRIMI », dans lesquels les frappes étaient perpétuelles et où il fallait parfois traverser tout le gymnase, au grès du lièvre, pour le rejoindre !… Après une durée interminable de cette poursuite, j’ai perdu le contrôle et suis tombé au centre, sans connaissance… Je ne sais la durée de cette coupure, mais à mon réveil tous les stagiaires couraient pour l’échauffement… Je ne connais guère l’incidence exacte de cette sorte de « cap », mais je constate pouvoir, sensiblement depuis cette période, réaliser mes « Irimi », dans le « timing » exact de l’attaque, être dorénavant en symbiose avec le rythme imposé…

Alors que le fait d’avoir plus de 80 ans devrait sous entendre un décalage normal inverse ?…

Dans un autre ordre d’idées, et dans mes réminiscences de mes différentes activités : Avant d’ouvrir mon propre club en Avril 1965, j’ai eu enseigné à différents endroits dont la MDJ de Rives de Giers, une dizaine d’années et le C.A.S.C.O.L à Oullins, également une douzaine d’années : club dont j’ai eu l’honneur d’être le premier enseignant d’Arts Martiaux…Quoique les jeunes qui venaient pratiquer étaient en général très forts mentalement. Je me souviens de l’un d’entre eux, chef d’une bande de blousons noirs de la région… (très en vogue à cette époque)! Tous les soirs d’entraînement je faisais après le cours, d’interminables « Randoris » avec lui !… Il se transcendait littéralement… J’avais l’impression de me mesurer à un gorille, tant son comportement était inhabituel… Et je devais être très vigilant pour conserver mon avantage technique ! Un soir, il est venu avec tout un groupe, une douzaine de ces petits durs, de tous gabarits, en me demandant de leur « casser la figure, car la moitié de sa bande ne m’avait pas trouvé impressionnant  » J’avais tenté de lui expliquer les objectifs profonds de nos disciplines … Mais il aurait voulu que je leur fasse sentir concrètement cette évidence ! J’ai appris, bien plus tard, qu’il avait cessé ses incartades et avait fondé une famille normale !…

A une autre époque, un prêtre étai venu me contacter pour animer un nouveau cours de JUDO de jeunes délinquants d’une vingtaine d’années, dans leurs locaux du quartier de Saint-Jean…L’idée de ce remake du film « Graines de Violence » m’avait emballé, d’autant que je m’étais déjà essayé à l’encadrement occasionnellement avec l’école de redressement de SACUNY, dans le Rhône. Ils étaient une douzaine, pleins d’énergie, cherchant journellement à s’imposer… Je cherchais à les faire s’exprimer au mieux de leurs capacités, tout en les corrigeant…L’un d’entre eux surtout, avait un potentiel très prometteur… J’ai dû animer cette section de « petits durs », plus de deux ans… Jusqu’au jour où l’on m’a appris que mon élève préféré, celui que je considérais comme le meilleur… s’était tué au volant d’une voiture volée !.. J’ai été profondément déçu de ce résultat nul !.. Et nous avons abandonné cette sorte de croisade, que je considérais alors sans espoir de réussite !… Or 25/30 ans après cette expérience malheureuse, je me trouvais représenter mon club, lors d’uns A.G. de notre ligue Rhône-Alpes, quand un grand gaillard, qu’il me semblait effectivement avoir connu, m’a interpellé lors du pot de l’amitié en me demandant si je me souvenais de lui? Il avait fait partie de mes douze petits durs..(J’avais failli écrire mes douze salopard !) Et qu’il était devenu maintenant le Président d’un club de la banlieue lyonnaise ! Il était effectivement devenu très pondéré et empli de cette responsabilité ennoblissant l’individu ! J’en suis resté totalement abasourdi… et conscient de m’être lourdement trompé d’objectif, je me suis laissé prendre au jeu de la « championnite »! Lorsque l’on enseigne, il n’est pas bon de se polariser sur tel ou tel ; Nous entreprenons une action collective dans laquelle la réussite ou l’échec de l’un n’a qu’une faible incidence sur celle de la collectivité !

J’ai eu depuis de nombreux cas, pour lesquels on ne connaît que rarement l’aboutissement final. Cela est sans importance : On doit croire en ce que nous transmettons, sans chercher à en vérifier nous-mêmes, la vérité.

« Si tu peux accepter triomphe après défaite, et accepter ces deux menteurs d’un même front »… a écrit (sensiblement) KIPLING, à juste titre et sans faire l’erreur de se limiter à tel ou tel !?

5/ Quels conseils « d’expert » donneriez-vous à un jeune ou moins jeune pratiquant ,

Expert est bien au dessus de mes quelques compétences, la seule dont je sois sûre est celle de l’Age ! Mais chose promise…

Quelqu’un a dit :  « On n’enseigne ni ce que l’on sait, ni ce que l’on fait, on enseigne ce que l’on est » IL faut donc veiller à être le plus authentique possible, à sa propre véracité, et les élèves sauront faire la différence !

Mais ce qui est absolument prescrit lorsque l’on enseigne est de se décourager, quelqu’en soient les raisons qui nous pousseraient à cette éventualité… Chaque cas est différent. Il nous appartient de décoder ces différences et d’apporter imperceptiblement les corrections nécessitées… Mais à la façon d’HERIGEL, ce philosophe allemand, qui prône dans son livre « Le zen par le tir à l’arc« , la discrétion dans notre façon de corriger l’autre… On ne doit pas propulser l’élève au dessus de l’obstacle… Mais il nous faut seulement l’aider à franchir, lui-même, ce mur de la connaissance !

Et ce qui est primordial chez l’enseignant ou l’organisateur, est de ne jamais se décourager !…

C’est ce que nous vous souhaitons en priorité… Bien sincères amitiés !

Bernard MONNERET