Les passages de grades

Article rédigé en 1988 pour le Bulletin du Murakami Kai

En plus de mes félicitations aux nouveaux et nouvelles ceintures noires, nombreux cette année, je voudrais livrer quelques réflexions sur les passages de grade.

Je commencer par un vœu concernant les nouveaux 1er Dan. Bien sûr, la ceinture noire est la sanction de plusieurs années de travail. Mais ce n’est pas et ce ne doit être pour personne un aboutissement. Dire que le 1er Dan n’est que le commencement de la véritable pratique du karaté est devenu un lieu commun. C’est pourtant une réalité dont peuvent témoigner tous ceux qui ont continué à s’entraîner, cette première étape franchie.

Le 1er Dan ne reflète que l’acquisition d’une base technique minimum permettant d’entreprendre une véritable recherche.

Je souhaiterais donc que cet examen constitue pour tous les nouveaux gradés, le point de départ d’un véritable entraînement et une motivation supplémentaire pour s’investir un peu plus encore dans cette recherche passionnante qu’est la pratique du Shotokai.

Quelques remarques maintenant sur les examens en général.

La propension des spectateurs à juger est tout à fait naturelle. Que les jugements les plus péremptoires soient le fait des moins anciens, cela aussi est normal, même si cela peut paraître contradictoire.

Juger semble très facile. Cela peut en effet l’être si l’on se contente d’un seul critère comme ont tendance à le faire les néophytes. Ceux-ci se contentent de juger ce qu’ils voient. Et ce qu’ils voient, c’est le candidat à l’instant t. Mais ils ignorent l’instant t-1, qui permet de juger le chemin parcouru et ne pensent pas à l’instant t+1, son devenir : est-il sur la bonne voie, n’a-t-il pas dès maintenant à corriger un petit détail qui va, à plus ou moins longue échéance, l’empêcher de progresser ?

Les paramètres dont il faut tenir compte sont donc nombreux. Il m’aurait été possible d’en citer de nombreux autres, je ne le ferai pas ici car le but n’est pas de former des examinateurs, mais plutôt d’inciter à une plus grande modération dans les jugements.

Je rappelle à ce sujet que le Maître, quand il prenait un nouvel assistant dans un jury, le faisait dans un premier temps pour qu’il apprenne à se forger un jugement à son contact et au contact des assistants plus expérimentés.

Que ceux qui assistent aux examens en profitent donc pour comparer leur conclusion avec celle du jury. Celui-ci ne détient pas « la » vérité, mais a pour lui le niveau technique et l’expérience. Son verdict peut donc servir de référence.

Je ne m’étendrai pas sur le cas des candidats qui se jugent eu-mêmes. Dans aucun domaine, on ne peut être juge et partie. Une telle prétention dans les arts martiaux est inadmissible, et ne vient que confirmer à posteriori les jugements contestés.

C’est aux professeurs d’inculquer les fondements de la pratique des arts martiaux. Et c’est leur attitude qui sert avant tout de modèle à leurs élèves. Leur responsabilité est donc grande dans ce domaine.

Que quelques-uns estiment être les mieux placés pour juger leurs élèves, c’est une position qui se défend. Qu’ils se laissent aller à émettre des réserves sur le résultat d’un examen, cela ne se défend plus et risque un jour de se retourner contre eux.

D’ailleurs et par expérience, je dirai que c’est souvent le jugement sur ses élèves qui est le plus difficile à rendre. Les professeurs, et cela est naturel, sont attachés à leurs élèves et à travers ceux-ci, c’est un peu eux qui sont jugés.

Tout cela peut quelque fois nuire à l’objectivité du jugement et en toute bonne foi.

Au-delà d’une technique, le Shotokai aspire à être une VOIE, un chemin qui mène à la connaissance de soi et des autres.

Les examens dans cette optique ne sont qu’une péripétie. Mais de cette péripétie on peut tirer un enseignement. Ils révèlent en effet, souvent, le véritable caractère, la capacité de chacun à accepter un échec et à le surmonter.

Rappelons pour finir, que dans une pratique correcte, SANS BUT, et c’est ainsi que doit être abordé le Shotokai, tous ces problèmes ne devraient jamais se poser.

© Copyright Patrick Herbert, directeur technique Shotokaï Europe